KOMODO de David Vann

Publié le

 

 

La pente lunaire baignée d’une lueur bleu clair, si limpide. Un petit requin à pointes noires glisse dans les parages, en direction des profondeurs, il semble si parfait, sculpté, il me jette un regard et, curieusement, il sait qui je suis et ce que j’ai fait.

La littérature vint. Et David Vann fut.
Dans son œuvre, nous connaissions bien le père et le fils. Ici, dans Komodo, c'est Tracy qui raconte. Tracy, la fille du père disparu, Tracy, la sœur hostile. Tracy, qui est aussi une mère et une épouse, des rôles qu'elle a voulu tenir et qui aujourd'hui, l'oppressent. Le choix du verbe oppresser n'est pas vain, les mots de l'auteur n'auront pas d'autre objectif que celui d'oppresser. Et comme cet auteur est David Vann, on peut dire : objectif atteint.
Tracy et sa mère rejoignent Roy, le frère, en Indonésie, sur l'île de Komodo pour y faire de la plongée. Ô univers de sérénité, immense ciel d'eau dans lequel voler éloigne de la pesanteur des vies terrestres. Il connaît son sujet l'auteur, l'immersion emporte tout le monde entre raies Manta et requins, le long de rochers violets et noirs. Monde fragile, monde pacifié. J'ai vu la beauté sous-marine. J'ai volé. Et puis le retour sur terre et l'amertume et l'aigreur et les tonnes d'eau au-dessus des têtes écraseront un peu plus à chaque plongée.
Est-ce que tout finira par imploser dans la tête de Tracy ? Y sont mêlés colère et épuisement, ses pensées partent dans diverses directions, pourquoi en est-elle à ce point de rupture ? Est-ce de l'atavisme ? Est-ce de mauvais choix de vie ? Est-ce sa faute à lui ou à elle ?
Je ne voulais pas y aller dans sa tête parce que je savais bien que l'auteur ne ferait pas que frôler quelques stigmates. Je savais que je finirai par la vivre sa pensée. Pleinement, durablement. Parce que même s'il prend son temps pour t'y faire entrer, même s'il prend son temps pour appuyer toujours un peu plus sur la poitrine de son lecteur pour en expulser l'air, il arrive le moment où il veut la suffocation, et j'ai suffoqué. Je me suis souvenue alors d'un état semblable sur une autre lecture, comme un écho, une douleur terrible qui enfle et qui compresse les méninges, celle de Sheri, une mère désespérée et tellement en colère, mais tellement. C'était dans le roman Aquarium. Un père, une fille, une petite-fille.
David Vann continue son œuvre en spirale sur la famille, il creuse les cerveaux abîmées, les parties sombres, il cherche le souffle vital, et il arrive à enlever l'air d'entre ses mots tout en gardant une écriture sobre, fluide. C'est presque de la magie.

Gallmeister (2021)
288 pages
Traduit de l'américain par Laura Derajinski

 

L'AUTEUR
Publié en France en janvier 2010, son roman Sukkwan Island remporte immédiatement un immense succès. Il remporte le prix Médicis étranger et s'est vendu à plus de 300 000 exemplaires. Une adaptation cinématographique par une société de production française est en cours. David Vann est également l'auteur de Désolations, Impurs. Il partage aujourd'hui son temps entre la Nouvelle-Zélande où il vit et l'Angleterre où il enseigne, tous les automnes, la littérature.
Tu peux trouver sur le blog Sukkwan Island, ImpursUn poisson sur la luneDernier jour sur terreAquarium, L'obscure clarté de l'air.

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article