UN POISSON SUR LA LUNE de David Vann

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Il voit ses pensées s'éveiller, se prépare à une nouvelle nuit d'insomnie, une nuit parmi des milliers identiques, son corps si épuisé, et dès qu'il se repose, son esprit se met en branle. C'est un petit bâtiment en béton, un plafond bas, et la longue file de pensées qui attendent patiemment dehors commence à entrer d'un pas traînant.

Il n'y a pas de lumière, aucun espoir, la fin est inéluctable, à aucun moment ne sera proposé un espace de respiration. Ce roman étouffe. Il broie son lecteur sous une presse qui irait au ralenti, trop lentement, inexorablement. Jim a 39 ans, des dettes, deux mariages avortés et deux enfants qui ne le retiendront pas. Il vit seul en Alaska depuis un an, isolé d'un monde qu'il cherche à fuir, mais on ne peut pas se fuir. Il revient quelques jours sur ses terres natales en Californie, revoit sa famille, provoque ses parents démunis, balade son frère Doug, solde des adieux déchirants à ses enfants. Cet homme, enfermé dans sa dépression, garde près de lui son arme ne sachant quand elle le libérera de son propre poids.

La dépression est une maladie mal reconnue, entourée de tant de préjugés. David Vann nous la montre de l'intérieur, et il ne fait pas bon y entrer. Jim Vann est le père de l'auteur, il s'est suicidé alors qu'il avait 13 ans. Ce roman nous fait vivre les trois derniers jours d'un homme déjà perdu. Entre moments d'euphorie et obsessions morbides, Jim souffre autant dans son être que dans sa chair. Il ne dort plus, il n'a plus aucun filtre et lâche sa folie aux êtres qui l'aiment et qui sont spectateurs impuissants d'une tragédie annoncée. Qui Jim emportera-t-il dans sa chute ?
Cet événement déchirant de la vie de l'auteur a marqué son œuvre. Dans Sukkwan Island, œuvre sublime s'il en est, on retrouvait déjà ce père fragile. Un père vivant seul avec son fils quelque part dans une cabane isolée de l'Alaska. Ou comment réécrire l'Histoire puisque, enfant, l'auteur avait refuser de vivre cette expérience avec son père.
L'autre personnage omniprésent du livre est l'arme à feu. Mal de l'Amérique, produit d'une éducation au puritanisme hypocrite. Dans Dernier jour sur terre, David Vann tachait de comprendre pourquoi Steve Kazmierczak, 27 ans, s'était rendu armé à son université et avait tiré sur des étudiants avant de se donner la mort. Qui Jim emportera-t-il dans sa chute ?
Si la force de ce livre repose sur son histoire tragique de vie, l'auteur nous immerge aussi dans la noirceur d'une âme malade grâce à un style sans égal, une écriture sans concession, brute et belle. David Vann reste un des grands auteurs américains d'aujourd'hui.

Gallmeister (2019)
285 pages
Traduit de l'américain par Laura Derajinski

 

L'AUTEUR

Né en en 1966, en Alaska, David Vann est l'auteur de Sukkwan Island, prix médicis étranger 2010, traduit en dix-huit langues dans plus de cinquante pays. Un poisson sur la lune est son septième roman publié en France.

 

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