LE THÉORÈME D'HYPOCRITE de A. Houlou-Garcia et T. Maugenest
Suivant la formule de Cathy O'Neil, une ancienne analyste à Wall Street, les algorithmes s'apparentent à des armes de destruction massive.
Le mot « mathématiques » évoque chez chacun des sentiments très variés : la rigueur, l'ordre, la sécurité, la curiosité, ou bien encore la nausée et la fuite. Mais les mathématiques sont partie intégrante de notre vie. Dès les premiers mois de vie, l'enfant expérimente les mathématiques en interaction avec son environnement. Il observe, il compare, il manipule, il classe, il teste, il dénombre. Et avec l'aide de son entourage, son éveil aux mathématiques peut être stimulé, boosté, amélioré (dans un monde à 3 dimensions plutôt que sur un écran, petit aparté qui a glissé de mon clavier). Parfois, certains enfants deviennent de grands mathématiciens. Et parfois aussi, les mathématiques serviront les têtes pensantes pour tromper, pour condamner ou pour dominer. C'est ce que Thierry Maugenest (auteur) et Antoine Houlou-Garcia (mathématicien) ont développé dans ce livre au nom évocateur Le théorème d'Hypocrite.
Que trouve-t-on dans ce livre ? Qu'il est facile d'utiliser les nombres à des fins pas toujours bienveillantes.
Et ce, depuis l'Antiquité.
Pythagore demandera à sa cité d'entrer en guerre pour vaincre la démocratie, antithèse d'une harmonie politique où la société doit respecter l'ordre rigoureux des nombres, ce qui signifie que chaque individu doit rester à la place qui lui revient. Pythagore devient tout à coup moins sympathique (du moins pour ceux qui avait en sympathie son fameux théorème, qui n'est d'ailleurs pas forcément le sien*). Mais s'il était le seul a avoir détourné l'usage des nobles mathématiques … Non ! Une floppée de personnages vont expérimenter les nombres à des fins de contrôle, persuadés que l'on peut appliquer les formules à tout aspect de la vie, politique, société, santé, etc., ou s'en servir afin de tromper et/ou manipuler la plèbe, le citoyen lambda, celui allergique aux nombres ou celui qui a une confiance aveugle en eux.
Des exemples dans l'Histoire, il y en a par poignées. Appliquer la courbe de Gauss aux phénomènes humains, j'ai trouvé ça formidable comme idée, l'expérience est toujours intéressante, on voudrait y croire, Adolphe Quetelet y a cru. Ah si on pouvait tout ranger, tout classer, tout maîtriser comme semble le pouvoir les mathématiques. Et puis non, parce que doucement on en vient à l'idée douteuse de Galton de sélection naturelle, parce que les extrémités de la courbe de Gauss, on pourrait les supprimer après tout. Et si on appelait ça l'eugénisme ?
Ah si les mathématiques pouvaient être la réponse à cet humain qu'on ne contrôle pas. Bentham a voulu quantifier le bonheur pour un peuple plus heureux. Non, décidément, là n'est pas l'utilité des mathématiques.
Alors, si on s'en servait pour tromper, pour noyer le poisson, pour endormir les foules ?
Balancer des nombres erronés en politique, biaiser des formules élémentaires, pourcentages, statistiques, publicités. On en arrive à l'ère de l'internet et des réseaux sociaux : algorithmes, achat de likes, de retweets, de followers. Et qu'en est-il des épidémies ? Qu'en est-il de tous ces chiffres dont les médias nous assomment autour du Covid19 ?
Ce livre est passionnant et inquiétant. Dans cette période où l'incertitude grandit et où la confiance est usée, ce livre nous interpelle, il appelle à la prudence et réactive la notion de libre arbitre. Creuser l'information plutôt que d'y glisser dessus.
Albin Michel (2020)
340 pages
*des précisions sur ce doute bouleversant dans le livre