MÉRIDIEN DE SANG de Cormac McCarthy

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Les ombres des plus petites pierres étaient comme des lignes griffonnées sur le sable et les formes des hommes et de leurs chevaux s'allongeaient devant eux comme les filins de la nuit d'où ils étaient venus, comme des tentacules pour les enchaîner à l'obscurité encore à venir.

On peut d’abord présenter Méridien de sang comme un western sauvage dans une région désertique, à la frontière mexicaine, où la poussière emplit les poumons, une chevauchée d’hommes errant, ne sachant quand s’arrêtera leur fuite en avant sur un chemin qu’ils laissent recouvert par la mort. Mais ce serait peu en dire finalement.

Un méridien de sang pour représenter ce chemin funeste de cavaliers apocalyptiques, du sang coulant le long d’une frontière arrachée. Cette horde d’hommes prompte à massacrer les derniers indiens, stockant les scalps comme des reliques, n’a pas d’état d’âme ; elle suit un guide spirituel en la personne du juge Holden, véritable orateur de leur enfer. Un Dieu ? Le Diable ?

Je voudrais pas aller contre les Saintes Écritures mais qui sait s'il y a pas eu des pécheurs tellement endurcis dans le mal que les flammes les ont rejetés et je pourrais sans peine imaginer qu'en des temps très anciens des petits démons se sont élancés avec leurs fourches à travers ce vomi incandescent pour reprendre possession des âmes qui avaient été recrachées par erreur de leur lieu de damnation et rejetées sur les bords extérieurs du monde. Oui. C'est une idée, rien de plus. Mais quelque part dans l'ordre des choses ce monde-ci doit rejoindre l'autre.

Leur quête de massacres, d’une violence inouïe car l’auteur narre l’observable dans toute son horreur, est de l’ordre du sacré, telle la terre sauvage et rude qui se dresse devant eux, une terre à l’image de ces hommes et de leurs victimes. Également des renégats, il n’y a pas les méchants cow boys et les gentils indiens. La nature de l’homme, par les mots de Mac Carthy, est de détruire. Et il nous étouffe de ce souffle meurtrier dans des phrases longues dépourvues de pause, des phrases pénétrantes et organiques, au point d’en suer et de devoir éloigner la page pour inspirer à nouveau. Le style McCarthy, qui fait que parfois la forme m’a obsédée au point de ne plus saisir l’horreur des mots, est d’un lyrisme morbide et sublime à la fois, et ses phrases se veulent parfois hypnotiques, notamment à coup de « et » successifs (que j’aime tant). Un regard glaçant sur l’Homme qui rend la cruauté ordinaire, presque inéluctable. Chaque phrase est un prodige.

(...) l'un des Delawares émergea de la fumée en tenant dans chaque main un nouveau-né qui se balançait et il s'accroupit devant la bordure de pierre d'une fosse à fumier et il les projeta chacun son tour par les talons et leur fracassa le crâne contre les pierres, faisant exploser la cervelle qui jaillit en bouillie sanglante par la fontanelle (...)

Une chevauchée d’hommes pour l’émergence d’un monde nouveau battit sur des cadavres.
Ce roman est une pièce incontournable de la littérature américaine.

Et c’est peu en dire finalement.

 

Titre original : Blood Meridian, or The Evening Redness in the West
Alfred A, Knopf, Inc. 1985
Éditions de l’Olivier (1998)
Traduit de l’anglais par François Hirsch
462 pages

 

 

L’AUTEUR
Cormac McCarthy est un écrivain américain né le 20 juillet 1933 à Providence, Rhode Island. Il a écrit dix romans dont une trilogie et a travaillé occasionnellement comme scénariste pour le cinéma et la télévision. En 2007, son roman post apocalyptique intitulé The Road a été récompensé par le prix Pulitzer de la fiction.
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