La grande roue
Il fait chaud, l’air est moite et se colle à mes cheveux. A ma peau. A la tienne. Et tout ce monde qui s’ébroue. La foule se jette sur les attractions à la manière de la vague qui s’écrase sur la plage. C’est l’été, des nasses de touristes balnéaires s’agglutinent dans des parcs qui sentent la pomme d’amour, les chichis et la sueur. Tu me tiens la main et m’entraînes vers cet enfer des sens. Lumières aliénantes à rendre bénigne la myxomatose, bruits assourdissants entre musique débilitante et cris d’hystériques en mal d’adrénaline, et ces odeurs de friture sans âge…
Tu m’as dit : juste la grande roue s’il te plaît. Rien qu’une fois. Ce sera amusant. Non, ça ne sera pas amusant mais voilà, nous sommes de ces touristes balnéaires qui ne savent pas quoi faire de leurs soirées écrasées par la touffeur, alors, je te suis. Je ne te dis pas que j’ai le vertige. Je ne te dis pas que cette roue est une aberration pour mon lobe temporal squatté de façon abusive par cette phobie parasite. Je ne lâche pas ta main. Et sitôt que tu passes la jambe dans la nacelle vacillante, les miennes se font coton. Je me fais violence pour ne pas partir en courant. Et un bain de minuit ? Ce serait sympa un bain de minuit plutôt que d’aller se balancer dans une boîte suspendue dans le vide ? Je ne les dis pas ces mots, tu as l’air heureux et mon amour est (encore) plus fort que ma névrose. Je tente un sourire en rampant jusqu’à ce bout de banquette, pour ne pas dire ce bout de rien où pas même une demi fesse n’y a sa place. Elle se met en mouvement cette putain de roue. Évidemment. On est là pour qu’elle nous soulève d’un sol sans fleurs ni pelouse. Je me dis qu’il faut que je fixe mon œil sur un point immobile. Ma chaussure. Ou la tienne. Non, tes mains, je regarde tes mains. Je veux qu’elles s’agrippent tes mains. Je veux que tu arrêtes de bouger dans tous les sens. Oh regarde comme c’est beau les bateaux au loin ! Oui, c’est magnifique, mais je préfère mes chaussures. Et tu ris de ce rire que j’aime tant quand je te prends dans mes bras. Toi, tu ris, quand moi je t’imagine dix mètres plus bas, le crâne fracassé sur la dalle de béton et de Barbapapa desséchée. Je ne sais pas combien de temps nous avons tourné autour de cet axe. Je ne sais pas si les montagnes russes sont plus impressionnantes vues d’en haut ou si nos voisins de soucoupes volantes nous ont fait un salut de la main. Et je m’en fous, je les connais pas ces connards qui pensent que c’est tripant de balancer ses gosses au bout d’une corde. Je ne sais pas, j’ai fermé les yeux. Je t’ai dit qu’il m’était agréable de sentir les embruns maritimes sur ma peau. Tu as dû sourire ou soulever un sourcil d’étonnement ou fermer les yeux peut-être. Je ne sais pas. J’ai attendu. Et tu m’as pris la main.
- Encore un tour maman ?
- Et si on allait prendre un bain de minuit ?