L'ÉTÉ DES CHAROGNES de Simon Johannin
On avait encore quelques étés pour que les visages soient rouges, pour que le sang nous frappe les tempes et fasse battre en nous le temps qu'il nous reste.
On avait encore de quoi vivre un peu.
C'était comme quelques carcasses qui nous tournaient autour, avec chacune ses petites mouches et leur baluchon de tristesse. Il suffisait d'avancer dans l'existence pour ne plus voir qu'au travers de la nuée, et d'avoir toujours des insectes entre les yeux et le reste.
Une enfance décomposée, quelque part dans le Tarn, dans un hameau reculé, est crachée de la bouche d'un enfant. Il raconte sa vie dans la boue au milieu des bêtes, sous les coups d'un père grossier et butor, noyé sous les murges, il raconte les bagarres et le sang. Nous ne sommes pas dans un autre siècle, cet enfant évolue dans notre époque, dans une misère crasse, c'est la ruralité profonde, celle des oubliés. Le livre s'ouvre sur une scène aussi violente pour toi lecteur qu'elle puisse être banale pour le narrateur. Lui et son pote Jonas lapident à mort le chien de cette conne de voisine qui a écrasé son chat. Les animaux, les charognes, la mort comme compagnons d'un quotidien rude. Le récit est cru. L'enfant montre la puanteur des brebis pourrissantes, les beuveries des adultes qu'il faut ramener à la maison, les coups dans la gueule, le plaisir de tuer le cochon en famille et entre amis, une fête !, il rit de leurs jeux inventés, il faut bien s'occuper, et rester le plus longtemps possible enfermés avec des charognes en décomposition, c'est très drôle, surtout quand un copain perd l'équilibre et tombe sur le tas gluant, il en avait plein ses bouclettes blondes du jus marron dégueulasse et des asticots collés sur les mains. C'est un récit dérangeant, souvent morbide, la plume peut être assassine et sans concession face à une réalité qui ne l'est pas moins, les mots sont percutants, et pourtant c'est un récit touchant. Quand le narrateur aborde l'adolescence et l'exode en ville, quand il se confronte à une réalité différente de la ferme mais toute aussi violente, quand l'alcool et la drogue l'accompagnent sur ce nouveau chemin, les mots de l'auteur se font plus pénétrants, plus poétiques aussi, plus noirs.
C'est un texte fort qu'offre Simon Johannin avec ce premier roman.
Un talent à suivre assurément.
Éditions Allia (2017)
140 pages
L'AUTEUR
Né à Mazamet dans le Tarn en 1993, Simon Johannin a grandi dans l’Hérault où ses parents apiculteurs tenaient une exploitation. Il quitte le domicile parental à 17 ans et s’installe à Montpellier pour suivre des études de cinéma à l’Université, qu’il déserte rapidement. Il travaille ensuite en intérim, puis comme vendeur de jouets, avant d’intégrer l’atelier d’espace urbain de l’école de La Cambre à Bruxelles de 2013 à 2016. L’Été des charognes, son premier roman, paraît en janvier 2017.