LES GRANDS SINGES de Will Self

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Simon Dykes est un peintre subversif de la société londonienne, il crache des peintures noires et provocantes, il baise, il boit, il se vautre dans les paradis artificiels. Ce matin-là, il se réveille le crâne encore embrumé de poudre aux côtés de sa belle et l'horreur le cueille dans sa léthargie. Il est un singe. Il est un chimpanzé, allongé auprès d'un chimpanzé, dans un monde de chimpanzés. Persuadé d'être un humain, il sera interné dans le service d'un éminent psychanalyste, le Dr Busner, militant radical de l'antipsychiatrie. A lui de l'aider à retrouver sa « chimpanité ».

 

Difficile dans cette satire visant à ramener l'Homme à son statut animal de ne pas penser à La planète des singes de Pierre Boulle. Néanmoins, bien que l'Homme soit ici une créature sauvage que l'on retrouve dans les zoos, il n'est pas question de les chasser ou de les craindre. Will Self crée sa société de chimpanzés à l'image d'une société moderne, telle Londres aujourd'hui, mais sans les us et coutumes des êtres humains, sans nos marques sociales, sans les tabous freudiens, sans pudibonderie judéo-chrétienne ancrée depuis des siècles, sans culpabilité.

 

L’un des intergesticulateurs de Levinson, qui les observait attentivement, se prosterna à son tour devant Busner. "H’houu" docteur Busner, c’est ça "heu" ?
C’est exact.
J’admire votre éblouissante fêlure ischiatique, votre postérieur est comme l’étoile du matin et votre philosophie souterraine comme un bal masqué dans un monde gris. Je suis, monsieur, votre subordonné obligé."
Busner, ravi de tant de bassesse, flatta le popotin offert et alla jusqu’à le baiser. "Vous êtes trop bon de me baiser le cul, gesticula le chimpanzé en se redressant, vous ne vous souvenez probablement pas de moi, mais nous nous sommes brièvement grattés l’an dernier, à la clinique Cassell."

 

Hiérarchie de groupe simiesque, grattage, scatophilie, incestes obligatoires, et par là même des néologismes à profusion pour certifier une société différente et mettre en exergue les rites ancestraux de l'Homme tels que nous les vivons sans ne plus les réfléchir, Will Self, sous couvert d'un comique de situation parfois redondant, nous ramène à notre animalité.
Les grands singes est le septième ouvrage de l'auteur, inspiré des travaux de Jane Goodall (Les chimpanzés et moi), il est à la fois dérangeant et provocant, et permet différents degrés de lecture. Une lecture de distraction, et se laisser à rire de situations farfelues pour l'être supérieur que nous sommes, ou une lecture plus détachée et se laisser à réfléchir à notre héritage historique d'une société (peut-être) sclérosée. Les plus bégueules seront choquées et le livre tombera de leurs mains. Quelle que soit la posture de lecture prise, ce livre ne laissera pas indifférent.

 

L'Olivier (1998)
461 pages
Traduit de l'anglais par Francis Kerline

 

 

L'AUTEUR

 

Né en 1961, Will Self est l’un des auteurs les plus importants de la nouvelle fiction anglaise. Ses romans Vice-versa, Mon idée du plaisir, Théorie quantitative de la démence, Ainsi vivent les morts, Dorian et Dr Mukti sont disponibles en Points.

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