UN NOMMÉ PETER KARRAS de George P. Pelecanos
J’aime ça refermer un livre la tête lourde du poids des mots. J’aime ça ne pas être capable de lire autre chose parce qu’imprégnée d’une ambiance difficile à quitter. J’aime ça être obsédée par un personnage si fort qu’il en est réel.
Peter Karras est un immigré grec qui a grandi dans les rues misérables de Washington D.C. C’était dans les années 1930. Avec lui, ont grandi d’autres enfants immigrés tels Jimmy Boyle, Su, Nicodemus et… Joe Recevo, l’italien. Pour ces mômes, l’avenir offre des choix plutôt restreints. Joe choisira le côté obscur. Si tu veux une voiture digne de ce nom, si tu veux un costard qui a la classe, tu deviens un caïd. Point. Quant à Karras, il partira à la guerre, reviendra pour se marier avec la robuste Eleni et puis… la pègre ou la misère ? Joe ou la raison ? Karras, c’est « un homme plus grand que son ombre (…). Et il ne le sait même pas. »
Joe Recevo, Peter Karras, voilà le point central de ce livre. Une amitié qui s’est construite sur des trottoirs sordides est une amitié solide. Peut-elle résister à la trahison ?
C’était curieux ce qu’il ressentait au sujet de Pete. Il ne l’avait pas revu depuis cette fameuse nuit dans la ruelle, en 46, et passé les 6 premiers mois, il n’avait plus guère pensé à lui. Mais maintenant qu’il l’avait revu, c’était comme si quelqu’un lui avait fait remarquer qu’il se baladait sans bras droit depuis trois ans (…). Comme s’il avait vécu comme un estropié pendant tout ce temps, sans même le savoir.
En périphérie de ce point ancré de l’histoire, on va retrouver la noirceur des bandes organisées, ces bandes qui terrorisent les commerçants en leur promettant leur protection. On va retrouver la détresse des putes arrimées à leur mac en échange d’une piqûre. On va retrouver la dureté d’un monde de travailleurs qui ne comptent pas leurs heures pour nourrir leur famille.
J’aperçois aussi, en fond, cette histoire lugubre de prostituées ouvertes en deux par la lame d’un psychopathe.
La plume de Georges P. Pelecanos est redoutable. De tous ces aspects pré-cités, il a fait un solide roman noir de très grande qualité. Je les ai vues ces rues crasseuses, je les ai senties ces odeurs de manestra, de graisse de poulet ou encore de cette fichue Lucky Strike ! J’ai entendu craquer des os et le hurlement de cette putain. J’ai senti la peur.
Il fut bon d’être entre ces pages, très bon.
Je n’ai qu’un conseil à vous donner : il serait pêché de ne pas le tenter !
Points (2011)
447 pages
L'AUTEUR
En 1981, il se met à écrire, surtout la nuit. En 1990, il tente l'aventure de l'édition avec un premier roman, A Firing Offense, qui sera d'abord refusé, puis finalement édité en 1992. Dès lors le succès arrive rapidement et il va enchaîner les romans, au rythme d'au moins un chaque année. Depuis 2006, Pelecanos vit dans une banlieue aisée de Washington, à Silver Spring avec sa femme et ses trois enfants.