LA SERPE de Philippe Jaenada
J’arrive enfin au terme des 634 pages de l’enquête que Philippe Jaenada mena sur un triple meurtre vieux de soixante-quinze ans.
C’était un matin d’octobre 1941, c’était dans un château familial dans le Périgord, Henri Girard se leva et découvrit son père, sa tante et la bonne massacrés à coups de serpe, amas de chairs et de sang. Il avait vingt-quatre ans, une vie déjà tumultueuse, une réputation de mauvais garçon, le meurtrier idéal.
Le personnage principal, Henri, le vrai démon, est d’abord un sale gosse.
Il faut que je raconte là comment j’ai pu peiner au début de cette lecture. Philippe Jaenada ne lésine pas sur le détail (qui semble) inutile, va de digression en digression, part d’un personnage juste frôlé pour nous en raconter sa vie, fait allusion à ses romans précédents, nostalgique, qu’il tente vainement de relier à l’affaire qu’il traite alors, il sort une caisse pleine de parenthèses qu’il va déverser au fil des pages, ne lésinant pas sur la quantité, d’une générosité sans pareille, allant à mettre des parenthèses dans les parenthèses, soyons fous. Le premier tiers de ce livre fut une lecture assez laborieuse relatant la vie d’Henri Girard de sa naissance jusqu’à sa mort en passant brièvement sur les événements d’octobre 41. Une vie houleuse pour un personnage ambigu et quel personnage !
C’est à peu près à ce moment de ma lecture que j’ai intégré le style Jaenada et que lui se décide à raconter le massacre. Enfin ! ai-je envie de dire. Et c’est à partir de là qu’il va nous faire revivre toute l’affaire, qu’il va visiter chaque témoin, revoir chaque témoignage, chaque minute du procès, et c’est aussi là que je comprends l’intérêt primordial de la première partie certes fastidieuse mais ô combien révélatrice d’une accusation établie et difficilement contestable : Henri, le vrai démon.
Si l’auteur continue à semer charitablement de la parenthèse, il réussit néanmoins à alléger sa démonstration avec une certaine autodérision qui m’a fait sourire. Lui le détective en route vers la vérité, le château d’Escoire et la salle des archives va démontrer comment ce procès fut expédié voire saboté. Et je me suis laissée emporter par l’élan et l’enthousiasme du récit. J’ajoute ici mon admiration pour le travail fourni autour de ce livre avec une documentation énorme, des recherches pointues et un regard de biais qui en modifiant l’angle de vue change notre propre regard. Jaenada ira jusqu’à chercher ce que chaque intervenant dans l’affaire a pu devenir les années qui ont suivies (quand je dis digression, il ne fait pas semblant).
Je referme ce livre un peu bousculée, heureuse d’avoir fait la connaissance de celui-qui écrira Le salaire de la peur, le sale gosse, un vrai personnage de roman.
Julliard (2017)
634 pages
L’AUTEUR
Sa première nouvelle est publiée en 1990 dans L'Autre Journal. Les sept premiers romans de Philippe Jaenada sont d'inspiration autobiographique. Dans le drame, il n'oublie jamais la dérision, se mettant en scène en train d'écrire comme un forcené. Il se tourne vers le fait divers dans ses huitième et neuvième ouvrages: Bruno Sulak et Pauline Dubuisson, tout en conservant son style caractéristique.
Le Chameau sauvage obtient le Prix de Flore 1997 et le Prix Alexandre-Vialatte et a été adapté au cinéma par Luc Pagès sous le titre A+ Pollux. Sulak reçoit Le Prix d'une vie 2013 et le Grand Prix des Lycéennes de Elle 2014.