LA NUIT DES TEMPS de René Barjavel
La mémoire est un outil vraiment étonnant. J’ai dû lire La nuit des temps il y a un peu plus de vingt ans et je redécouvre l’œuvre complètement tant mes souvenirs ne m’en avaient laissée vivante qu’une part infime. J’avais été si marquée par Eléa et son amour à la Tristan et Iseult, que de l’aspect science-fiction, il ne me restait que la sphère et quelques bribes de la civilisation disparue.
Pour ceux qui l’ont lu il y a fort fort longtemps, mais aussi pour décider ceux qui hésiteraient à l’ouvrir :
Des scientifiques postés en Antarctique découvrent un signal venant du fin fond des glaces, à plus de 140 m sous leurs pieds. Après concertation de multiples pays, un puits est percé jusqu’à atteindre une sphère d’or du diamètre d’un immeuble de cinq étages. Dans cette sphère, les restes d’une civilisation disparue 300 000 ans plus tôt, une civilisation technologiquement plus avancée, un peuple qui possédait l’énergie universelle avec l’équation de Zoran : « Ce qui n’existe pas existe ». Mais aussi, une civilisation en guerre. Une guerre totale. Une fin du monde.
Et là, dans cette sphère, deux personnes endormies depuis la nuit des temps, vestiges d’un passé perdu…
Le Dr Simon qui fait partie de l’expédition, propose de les réveiller, et Eléa reprit vie.
Ses paupières étaient deux longues feuilles lasses dont les lignes des cils et des sourcils dessinaient le contour d’un trait d’ombre doré. Son nez était mince, droit, ses narines légèrement bombées et bien ouvertes. Ses cheveux d’un brun chaud semblaient frottés d’une lumière d’or. Ils entouraient sa tête de courtes ondulations aux reflets de soleil qui cachaient en partie le front et les joues et ne laissaient apparaitre des oreilles que le lobe de celle de gauche, comme un pétale au creux d’une boucle.
Le Dr Simon en tombe éperdument amoureux tant elle était merveilleusement, incroyablement, inimaginablement belle (et vois comme Barjavel ne lésine pas sur les adverbes très cher toi qui les élimines sans pitié (comprenne qui pourra)).
La nuit des temps était d’abord le scénario d’un film qui ne s’est pas monté, Barjavel en fera donc un roman en 1968 et je l’en remercie. Il y a tellement de degrés de lecture dans ce roman qu’il est impossible de tout décortiquer ici. On pourrait souligner l’aspect « primaire » voire « primates » des gouvernants du présent face à la découverte de la sphère, aspect d’autant plus appuyé par le contraste avec cette société avancée désormais disparue. On pourrait mettre en avant la guerre des Gondas face aux Enisors, on pourrait envisager un parallèle avec les deux blocs de la guerre froide, on pourrait parler sciences avec la Terre qui a dévié de son axe, avec la traductrice universelle ou encore avec cette machine qui crée des pilules nutritives à partir de rien. Mais on retiendra surtout l’existence d’un amour absolu, celui qui lie Eléa à Païkan.
Eléa : Je suis à Païkan.
Païkan : Je suis à Eléa.
Te dire que j’ai aimé La nuit des temps est un sérieux euphémisme, parce que l’écriture de Barjavel est sans pareille (à mes yeux, certes), elle appelle au rêve, elle est pailletée de poésie, et elle pousse à une réflexion sur l’Homme, ses faiblesses, ses guerres, sur les excès de la science, c'est une écriture qui s’appuie sur la science-fiction et l’anticipation comme des supports d’expression. J’ai même entr’aperçu une référence à son essai philosophique La faim du tigre (t’iras voir à la p.316 du Pocket si ça t’intéresse).
Si t’as pas lu Barjavel : 1/ je suis triste pour toi, 2/ sache que ça n’est pas irrémédiable, 3/ commence donc par La nuit des temps puisqu’on en cause !
Presses de la cité (1968)
394 pages
L’AUTEUR
(1911 - 1985) Journaliste et écrivain français. Ses romans de science-fiction développent une thèse antiscientifique et antitechnologique : Ravages (1943), Jour de feu (1957), la Nuit des temps (1968), la Peau de César (1985) pour n’en citer que quelques-uns… et comme c’est un peu court comme biographie pour ce grand Homme, je te dirige vers plus d’infos ici.